La romancière Krisztina Tóth ostracisée en Hongrie pour ses prises de positions libérales
Suite à la tribune parue dans Libération en soutien à l’écrivaine hongroise Krisztina Tóth, ostracisée par le gouvernement de son pays, Guillaume Métayer, chercheur en littérature au CNRS, revient en micro de Marie Sorbier sur l’oeuvre et l’engagement de cette autrice.
Guillaume Métayer (Poète et traducteur).
Le quotidien Libération a publié ce vendredi 12 mars une tribune de soutien, signée par les écrivaines Gwenaëlle Aubry et Nina Yargekov, à l’écrivaine hongroise Krisztina Tóth. Suite à ses propos concernant un roman de Mór Jókai, elle est la cible de nombreuses attaques provenant notamment de médias proches du gouvernement de Viktor Orbán. Au micro de Marie Sorbier, son traducteur français Guillaume Métayer, chercheur en littérature au CNRS, revient sur l’oeuvre de cette autrice, et sur ses déclarations qui l’ont menée à être ostracisée dans la scène publique hongroise.
Krisztina Tóth est une des voix les plus importantes de Hongrie actuellement. Elle a commencé très tôt une brillante carrière littéraire, d’abord reconnue comme poétesse.
Guillaume Métayer
Elle entre en littérature avec des récits comme Code-barres, traduit en français par Guillaume Métayer aux éditions Gallimard, qui marque par sa rigueur formelle proche de la poésie et la peinture qu’il fait de la société hongroise d’une diversité de points de vue féminins.
Comme le code-barres, ce récit est un portrait fragmenté de plusieurs femmes possibles, hongroises et centre-européennes. Ce livre a eu énormément de succès dans toute l’Europe centrale, je pense que beaucoup de lectrices et de lecteurs s’y sont reconnus.
Guillaume Métayer
Krisztina Tóth est accusée de remettre en question le patrimoine national hongrois après avoir critiqué le roman L’Homme d’or (1872) du célèbre écrivain Mór Jókai, décriant le traitement des personnages féminins. Dépeintes comme discrètes et dociles, subissant des hommes taiseux qui mènent des doubles vies, les femmes de ce roman colportent, selon Krisztina Tóth, une image contraire à celle du 21ème siècle. Ce à quoi ses adversaires rétorquent qu’il s’agit d’un roman du 19ème siècle.
On retrouve en Hongrie les questions que nous nous posons en France et un peu partout. Cependant, en Hongrie, les conséquences semblent plus violentes.
Guillaume Métayer
Il y a une énorme disproportion, estime Guillaume Métayer, entre la réponse qu’a donnée Krisztina Tóth sur un magazine littéraire en ligne, qui n’est pas un grand organe de presse, et les attaques dont elle est la cible depuis. Invitée par une journaliste à donner son avis sur la liste des lectures obligatoires des programmes scolaires, Krisztina Tóth a suggéré que s’il fallait retirer un ouvrage des programmes scolaires, ce serait L’Homme d’or de Mór Jókai.
A partir de ce moment-là, il y a eu un déferlement de haine sur les réseaux sociaux et dans la rue. Sa boîte aux lettres a été remplie d’excréments de chien. La presse hongroise, qui ne brille pas en ce moment par sa pluralité et sa diversité, a accompagné ce déferlement. Il s’agit non pas seulement d’un cas unique et personnel, mais plutôt d’une position générale de la presse hongroise face à un certain type d’intellectuels et d’écrivains.
Guillaume Métayer
„Une forme d’autocensure sournoise”
Face au gouvernement hongrois, explique Guillaume Métayer, beaucoup d’artistes et auteurs connaissent une autocensure résultant des prix et bourses littéraires décernés dans le pays. Par exemple, la bourse János Térey (du nom d’un auteur hongrois disparu prématurément), a été acceptée par un grand nombre d’écrivains hongrois, mais refusée par d’autres. Des refus qui ont donné lieu à divers scandales et prises de positions contrastées.
S’il n’est jamais aisé pour un écrivain de refuser une bourse, il l’est d’autant plus difficile en Hongrie, où ces bourses sont attribuées par des institutions culturelles tenues par des représentants du gouvernement. Parmi elles, le musée littéraire Petőfi (du nom de Sándor Petőfi, grand poète national hongrois du 19ème siècle), qui est tenu par le responsable culturel Szilard Demeter, connu dans la presse française pour ses prises de position extrêmement violentes. Il a notamment comparé le financier américano-hongrois George Soros, bouc-émissaire du gouvernement actuel, à Hitler, en parlant de camps de concentration libéraux.
C’est une forme sournoise d’autocensure qui rappelle la période communiste, ce qui est tout le paradoxe du gouvernement hongrois. Tout en étant un gouvernement libéral, il est aussi illibéral et post-communiste.
Guillaume Métayer
Ce contexte politique rappelle aussi la période du communisme du goulasch de János Kádár. La révolution hongroise de 1956 contre le pouvoir communiste lui avait porté grande atteinte, mais une fois que les révolutionnaires étaient partis (près de 200 000 d’entre eux avaient fui vers l’Europe de l’Ouest) ou emprisonnés puis graciés, l’Etat communiste hongrois avait commencé un jeu de carottes et de bâtons. Les commentateurs jugent souvent qu’Orbán est un enfant du kadarisme, qu’il fait une sorte de national-kadarisme : libéral en économie et illibéral en politique.
Guillaume Métayer
En acceptant une de ces bourses littéraires, explique Guillaume Métayer, un écrivain hongrois peut craindre de perdre son emploi, de voir la bourse lui être retirée, de ne plus être invité à s’exprimer dans les écoles et universités (comme c’est le cas de Krisztina Tóth), de ne plus pouvoir voyager. A noter que des auteurs hongrois sont souvent envoyés à l’étranger pour répandre la culture et la littérature de leur pays.
C’est une forme de censure assumée et inconsciente qui règne en Hongrie, telle que des auteurs comme Gábor Schein la décrivent. Ce sont des phénomènes qui rappellent la fin de l’époque communiste.
Guillaume Métayer